Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 100 II 332



100 II 332

50. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour civile du 6 décembre 1974 dans la
cause Barbay et consorts contre Denoréaz Regeste

    Verjährung, Art. 60 Abs. 2 OR

    Ratio legis und Voraussetzungen zur Anwendung dieser Vorschrift
(Erw. 2 a). Es genügt, dass die Handlung als solche strafbar ist und
dem Urheber des Schadens zugeschrieben werden kann; es ist nicht nötig,
dass dieser subjektiv strafbar ist (Erw. 2 b-d).

    Art. 43 und 44 OR

    Bestimmung der Entschädigung, wenn Kinder einen Schaden verursacht
haben. Begriff des mittleren, weder leichten noch schweren Verschuldens
(Erw. 3).

Sachverhalt

    A.- Le 28 juillet 1965, Pierre-André Barbay, Patrick Boven et
Pierre-Alain X., nés en 1956, s'amusaient avec des allumettes
de bengale à Yvorne. Après avoir été invités à rentrer chez eux
par une habitante du village, ils ont pénétré dans la grange d'André
Müller. Patrick Boven a allumé et lancé en l'air la dernière allumette,
qui est restée accrochée au foin et a provoqué un incendie. Alors que la
grange était anéantie, la toiture, les combles et la cage d'escalier de la
maison attenante d'André Denoréaz ont été détruits ou sérieusement brûlés.

    Le 21 octobre 1965, le président de la Chambre des mineurs a reconnu
les trois enfants coupables d'incendie par négligence au sens de l'art. 222
CP. Compte tenu de leur jeune âge et du fait qu'ils avaient déjà été
punis par leurs parents, il a toutefois renoncé à de plus amples mesures,
selon l'art. 88 CP.

    Denoréaz a reçu de l'Etablissement cantonal d'assuranceincendie
72000 fr. pour le dommage immobilier, 6500 fr. pour le dommage mobilier
et 2530 fr. pour la perte de loyer. Il a vainement tenté d'obtenir la
réparation du solde de son dommage auprès de l'Assurance mutuelle vaudoise,
qui couvre la responsabilité civile d'André Barbay - père de Pierre-André
- puis auprès de celui-ci. Il a requis une expertise hors procès aux fins
d'établir le dommage non couvert par l'assuranceincendie.

    B.- Par demande du 5 mai 1970, André Denoréaz a ouvert action contre
Pierre-André et André Barbay en paiement de 20 375 fr. 70 avec intérêt.

    Les défendeurs ont conclu au rejet de la demande et ont appelé en cause
Patrick Boven, qui a dénoncé à son tour le litige à Pierre-Alain X.

    Modifiant ses conclusions, le demandeur a fait valoir ses prétentions
solidairement contre Pierre-André et André Barbay, Patrick Boven et
Pierre-Alain X.

    Les défendeurs ont conclu à libération. Ils ont transigé entre eux
et renoncé à leurs conclusions réciproques.

    Par jugement du 8 juillet 1974, la Cour civile du Tribunal cantonal
vaudois a rejeté les conclusions du demandeur contre le défendeur André
Barbay et condamné solidairement Pierre-André Barbay, Patrick Boven et
Pierre-Alain X. à payer au demandeur 11 113 fr. avec intérêt à 5% dès
le 29 juillet 1965 et 4256 fr. avec intérêt à 5% dès le 5 mai 1970, sous
déduction de 3000 fr., et rejeté toutes autres ou plus amples conclusions.
Ses motifs sont en bref les suivants:

    L'action du demandeur contre les auteurs de l'incendie n'est pas
prescrite, puisqu'elle a été introduite dans les cinq ans qui ont suivi
l'acte punissable (art. 60 al. 2 CO, 70 et 222 CP). Les trois enfants
ayant agi ensemble dans leur jeu commun, il y a solidarité parfaite
entre eux. Agés d'environ neuf ans, ils pouvaient discerner le caractère
dangereux de leur comportement et ils répondent dès lors de leur acte
illicite. Une réduction de l'indemnité selon l'art. 43 CO ne doit pas être
admise, du moment que la faute des enfants, qui ont désobéi à leurs parents
et enfreint une règle de prudence élémentaire, ne peut être qualifiée de
légère. Une certaine réduction s'impose cependant en vertu de l'art. 44
al. 2.CO pour ne pas les exposer à la gêne. Sur le vu de l'expertise hors
procès et de l'expertise judiciaire, le dommage du demandeur s'élève en
tout à 15 375 fr. Le montant à retrancher en application de l'art. 44
al. 2 CO est fixé ex aequo et bono à 3000 fr.

    C.- Pierre-André Barbay, Patrick Boven et Pierre-Alain X. recourent
chacun en réforme au Tribunal fédéral. Ils concluent principalement
au rejet de la demande, subsidiairement à la réduction à 4000 fr. des
dommages-intérêts alloués au demandeur.

    Le Tribunal fédéral a rejeté les recours.

Auszug aus den Erwägungen:

Extrait des considérants:

Erwägung 2

    2.- Appréciant l'exception de prescription des défendeurs au regard
de l'art. 60 al. 2 CO, le Tribunal cantonal considère que, selon cette
disposition, le juge civil est lié par la décision du juge pénal quant au
caractère punissable de l'acte. Le juge des mineurs ayant expressément
admis en l'espèce que les trois enfants avaient commis l'infraction
de l'art. 222 CP, l'acte était punissable tant objectivement que
subjectivement. Le délit d'incendie par négligence se prescrit par cinq
ans. Cette prescription de plus longue durée s'applique à l'action civile
et court du jour de la commission de l'acte. L'action du demandeur contre
les auteurs de l'incendie du 28 juillet 1965 n'était donc pas prescrite
le 5 mai 1970.

    Les recourants contestent ce point de vue. Tout en admettant la
commission, objectivement, d'un incendie par négligence au sens de
l'art. 222 CP, ainsi que la prescription quinquennale de ce délit,
ils mettent en doute l'application de l'art. 60 al. 2 CO, s'agissant
d'une répression aussi particulière que celle des enfants selon les
art. 82 ss. CP. En l'espèce d'autre part, l'absence de sanctions pénales
exclurait l'existence d'un "acte punissable" au sens de l'art. 60 al. 2
CO. La ratio legis voudrait que cette disposition ne soit pas appliquée,
du moment que la décision du juge des mineurs a établi que les enfants
n'étaient plus exposés à une mesure pénale.

    a) L'art. 60 al. 2 CO a pour but d'étendre la possibilité du
lésé d'agir sur le plan civil contre l'auteur d'une infraction pénale.
Cette disposition repose sur l'idée, généralement admise en doctrine et en
jurisprudence, qu'il serait illogique que le lésé perde ses droits contre
l'auteur responsable aussi longtemps que ce dernier demeure exposé à une
poursuite pénale généralement plus lourde de conséquences pour lui (RO 91
II 432 s. consid. 5 et les arrêts cités). L'enchaînement des deux alinéas
de l'art. 60 CO révèle la volonté du législateur d'empécher que l'action
civile ne se prescrive aussi longtemps que la prescription pénale n'est
pas acquise (RO 77 II 319). L'application de l'art. 60 al. 2 ne suppose
pas qu'une poursuite pénale ait été engagée (RO 93 II 500 et les arrêts
cités), ni à plus forte raison qu'une condamnation ait été prononcée (RO
96 II 43 consid. 3 a). Il suffit que les dommagesintérêts dérivent d'un
acte punissable et que le délai de prescription de l'action pénale soit
plus long que celui de l'action civile (RO 93 II 500). A moins que le
juge pénal n'ait prononcé une condamnation ou un acquittement (ou qu'il
ait statué d'une autre manière sur l'existence de l'action publique), le
juge civil décide librement si l'acte de l'auteur constitue une infraction
à la loi pénale (RO 93 II 501). La prescription de l'art. 60 al. 2 CO est
soumise, sauf en ce qui concerne le point de départ et la durée du délai,
aux règles du droit privé, soit aux art. 127 ss. CO, faute de quoi le sort
de la prétention du lésé serait exposé aux aléas de la poursuite pénale,
sur laquelle celui-ci ne peut exercer aucune influence; peu importe dès
lors quand et comment prend fin l'action pénale (RO 91 II 434 ss., 96 II
44 s., 97 II 138 s. consid. 2).

    b) L'art. 60 al. 2 CO suppose un acte objectivement punissable,
crime, délit ou contravention (RO 60 II 35). Se fondant sur l'arrêt
RO 44 II 176 ss., la doctrine dominante exige en outre que l'auteur de
l'infraction soit subjectivement punissable (OSER/SCHÖNENBERGER, n. 15
ad art. 60 CO; GUHL/MERZ/KUMMER, Das schweizerische Obligationenrecht,
p. 187; ENGEL, Traité des obligations en droit suisse, p. 388; VON BÜREN,
Schweizerisches Obligationenrecht, Allgemeiner Teil, p. 427 ch. 5 et note
74; PÉTERMANN, La prescription des actions, Revue suisse d'assurances
1959/60, p. 362; GIRSBERGER, Die Verjährung der aus einer strafbaren
Handlung hergeleiteten Zivilansprüche, RSJ 1962 p. 215; W. SCHWANDER, Die
Verjährung ausservertraglicher und vertraglicher Schadenersatzforderungen,
thèse Fribourg 1963, p. 26 s.). BECKER est cependant d'avis que l'existence
de l'action publique ("öffentlich-rechtlicher Strafanspruch") suffit; il
appartient au juge civil de rechercher si cette condition est réalisée,
sauf en cas de jugement pénal définitif; dans cette hypothèse, le juge
civil peut toujours rechercher s'il existe un acte illicite, mais il
est lié sur le point de savoir s'il est pénalement punissable (n. 3 ad
art. 60 CO). VON TUHR/SIEGWART (I p. 375) paraissent laisser la question
indécise. BÄR considère en revanche que l'action publique existe en
principe contre tout délinquant, même s'il ne peut être puni en raison de
son incapacité de discernement ou de son décès (Gedanken zur praktischen
Anwendung der Strafrechtlichen Verjährungsfristen im Zivilprozess, RSJ
1965 p. 74). ROSSEL (Manuel du droit fédéral des obligations, 4e éd. 1920,
p. 116) et FUNK (Handkommentar des Obligationenrechtes, n. 3 ad art. 60
CO) se prononcent dans le même sens.

    c) Cette dernière conception répond mieux à la ratio legis de l'art. 60
al. 2 CO, qui tend à favoriser le lésé victime d'une infraction pénale en
le mettant au bénéfice d'un délai de prescription plus long. Cet avantage
ne doit pas dépendre des aléas qu'implique la prise en considération
de l'élément subjectif par le juge pénal. L'infraction objectivement
établie à la charge d'une personne déclarée irresponsable à la suite d'une
expertise psychiatrique, ou décédée avant sa condamnation, fait courir le
délai de l'art. 60 al. 2 malgré l'extinction de l'action pénale. Le délai
de prescription de cette action n'est pas modifié par la date à laquelle
elle prend fin dans un cas d'espèce. Il suffit donc que l'acte comme tel
soit punissable et qu'il puisse être attribué au défendeur à l'action
civile. Peu importe que celui-ci soit subjectivement punissable. La
prescription prolongée de l'art. 60 al. 2 CO est une institution du droit
civil indépendante de la sanction pénale. La sécurité du droit commande
que le lésé puisse benéficier des informations que seule l'enquête pénale
peut souvent lui apporter, sans pour autant que sa prétention souffre des
incertitudes de la poursuite pénale, liées à la culpabilité subjective
de l'auteur de l'acte.

    d) En l'espéce, les trois recourants, âgés de neuf ans au moment
de l'infraction, étaient soumis aux dispositions du code pénal (art.
82 al. 2, 83 ss. CP). Dans sa décision du 21 octobre 1965, le juge des
mineurs constate de manière à lier le tribunal civil que "les prévenus ont
ainsi commis le délit d'incendie par négligence au sens de l'art. 222 CP".
Peu importe que le code pénal ne prévoie pour les enfants âgés de six
à quatorze ans que des mesures éducatives, des traitements spéciaux
ou une répression disciplinaire, voire la renonciation à toute mesure
aux conditions de l'art. 88 CP, et que le juge des mineurs ait fait
application de cette disposition en l'espèce. Le délit d'incendie par
négligence commis par les défendeurs étant soumis à la prescription
quinquennale de l'art. 70 CP, cette prescription s'applique à l'action
civile du demandeur selon l'art. 60 al. 2 CO.

    e) Sur le plan civil, le Tribunal cantonal constate souverainement,
après avoir apprécié les preuves administrées, que les trois enfants
pouvaient discerner le caractère dangereux de leur comportement. Il en
conclut avec raison qu'ils ont commis une faute et doivent répondre de
leur acte illicite.

    Les recourants ne discutent pas leur responsabilité solidaire. Même
si l'un d'eux seul a lancé l'allumette fatale, ils ont agi de concert,
animés d'une même volonté de pratiquer ensemble un jeu dangereux. Après
avoir été morigénés, ils se sont soustraits sciemment à la surveillance
des adultes. Leur désobéissance, constatée par l'autorité cantonale,
procède d'un entraînement mutuel qui engage leur responsabilité civile
solidaire selon l'art. 50 al. 1 CO.

    f) On ne saurait non plus considérer comme abusive l'intervention
civile du lésé parce qu'il a introduit son action quelques semaines
seulement avant l'expiration de la prescription pénale. Le déroulement
des circonstances, et notamment l'établissement préalable du préjudice par
la voie d'une expertise hors procès, expliquent et justifient ce retard.

    L'exception de prescription soulevée par les défendeurs doit dès lors
être rejetée.

Erwägung 3

    3.- Les recourants reprochent au Tribunal cantonal d'avoir refusé
d'appliquer l'art. 43 CO, "en estimant que la faute des enfants n'était
pas légère, autrement dit en considérant qu'elle était grave". Le jugement
déféré serait sur ce point en contradiction avec la jurisprudence, qui
aurait toujours tenu compte du facteur que représente le jeune âge. Ce
facteur, ajouté à celui de la gêne des débiteurs, ne justifierait pas
une responsabilité supérieure à 30%.

    a) Il est vrai que le Tribunal fédéral opère généralement une réduction
sensible de l'obligation de réparer le dommage, lorsque le débiteur est un
enfant. L'importance de la réduction dépend de la gravité de la faute et
de l'âge du responsable (cf. notamment les arrêts RO 43 II 205, 67 II 49,
70 II 136, 82 II 25 et 90 II 9, cités dans les recours).

    Les recourants se trompent lorsqu'ils affirment que le Tribunal
cantonal a considéré leur faute comme grave. Ce point de vue est contredit
par l'appréciation du jugement déféré selon laquelle la faute, sans être
légère, "ne revêt... pas un caractère de gravité tel qu'il exclurait
l'application de l'art. 44 al. 2 CO". Avec raison, la Cour civile
vaudoise s'écarte ainsi implicitement de la division bipartite des fautes,
fréquemment présentée en doctrine, qui assimile toute faute non légère
à une faute grave. Une telle division heurte l'expérience de la vie qui
fait couramment apparaître des fautes "moyennes" ni graves ni légères. Le
fait que certains textes légaux attachent des conséquences juridiques à
la gravité ou à la légèreté de la faute ne signifie nullement qu'il ne
puisse y avoir de fautes intermédiaires.

    En l'espèce, les recourants perdent totalement de vue que les
dommages-intérêts auxquels ils ont été condamnés ne représentent qu'une
part minime du préjudice qu'ils ont causé, part nettement inférieure á
celle de 30% qu'ils admettent eux-mêmes. Le dommage total du demandeur
excède 96000 fr. Condamnés par le jugement déféré à payer 12375 fr. en
capital, les défendeurs ne sont appelés à couvrir qu'environ 1/8 de ce
dommage. Ils ne sauraient en effet bénéficier des indemnités versées par
l'Etablissement cantonal d'assurance-incendie à son assuré, en contrepartie
des primes versées par celui-ci. Le dossier ne révèle aucun indice d'une
intention de l'établissement d'assurance d'exercer une action récursoire
contre les auteurs du dommage, action qui serait d'ailleurs prescrite. Les
défendeurs eux-mêmes n'allèguent pas qu'ils seraient exposés à une telle
action, ni que la prescription aurait été interrompue.

    Dans ces conditions, une réduction supérieure à celle dont bénéficient
déjà les auteurs ne se justifie pas, et le recours doit être rejeté sur
ce point.

    b) A l'appui de la réduction de 3000 fr. opérée en application de
l'art. 44 al. 2 CO, le Tribunal cantonal relève que les trois défendeurs
"sont aujourd'hui âgés de dix-huit ans" et qu'"à cet âge-là, les jeunes
gens sont en général au début de leur formation professionnelle et ne
gagnent pas encore leur vie ou du moins dans une mesure très partielle".

    En raisonnant ainsi, les premiers juges n'ont pas procédé à une
appréciation concrète des motifs de réduction pour chaque responsable,
comme l'exige en principe l'art. 44 al. 2 CO. Mais même dans l'hypothèse,
qu'ils ont retenue, de jeunes gens de dix-huit ans en cours de formation
professionnelle et dénués de fortune, la réparation solidaire entre trois
d'un préjudice de 12375 fr. en capital représente un effort financier
parfaitement supportable, compte tenu du salaire que gagneront les
responsables une fois leur formation professionnelle achevée. La réduction
de 3000 fr. n'était donc pas justifiée. Faute de recours du demandeur,
elle doit néanmoins être maintenue.