Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 100 IA 97



100 Ia 97

16. Extrait de l'arrêt du 8 mai 1974 dans la cause Demont et Cartel
intersyndical du personnel de l'Etat de Genève contre Conseil d'Etat du
canton de Genève. Regeste

    Art. 4 BV, Akteneinsichtsrecht.

    Art. 88 OG. Legitimation eines Berufsverbandes (Erw.  1).

    Natur und Tragweite des Akteneinsichtsrechtes (Erw. 5 a und b).

    Art. 28 VwG. Der in dieser Bestimmung bestätigte Grundsatz wird durch
Art. 4 BV gewährleistet, unter Vorbehalt bestimmter Einschränkungen in
Bezug auf die Art des Verfahrens und den Inhalt des geheimgehaltenen
Aktenstückes (Erw. 5 d).

Sachverhalt

    A.- Par son art. 12 al. 2 litt. c, la loi genevoise du 5 juillet
1957 concernant le traitement des fonctionnaires nommés par le Conseil
d'Etat charge cette autorité d'élaborer un règlement sur le statut
des fonctionnaires de l'administration cantonale. Ce statut était fixé
auparavant par un règlement du 6 juillet 1928, dont le Conseil d'Etat
a entrepris la refonte complète en 1967. Après de premières études, le
Département cantonal des finances a institué une commission paritaire
comprenant ses représentants et ceux du Cartel intersyndical du personnel
de l'Etat de Genève (ci-après: le Cartel intersyndical), qui groupe
treize associations du personnel de diverses branches de l'administration
comptant ensemble 4650 membres. Au cours de 38 séances échelonnées du
4 décembre 1968 au 28 mai 1973, les travaux de la commission paritaire
ont porté sur l'élaboration d'un projet de nouveau règlement. Le droit
d'être entendu et la consultation du dossier par le fonctionnaire dans les
procédures le concernant ont notamment fait l'objet de longues discussions.
La commission paritaire a abouti sur ce point à un art. 15 qui, sous le
titre marginal "Dossier administratif", prescrivait ce qui suit:

    1 Tout membre du personnel peut prendre connaissance de l'ensemble
des rapports administratifs le concernant, notamment lorsqu'il demande
à être nommé fonctionnaire ou fait acte de candidature à un autre poste
de l'administration.

    2 Toutefois, la consultation d'une pièce peut être refusée si l'intérêt
public ou des intérêts privés prépondérants l'exigent.

    3 Aucun document ne peut être utilisé contre un membre du personnel
sans que celui-ci en ait eu connaissance et qu'un délai lui ait été fixé
pour faire part de son point de vue.

    4 Après un délai de 10 ans, ces documents ne peuvent plus être
invoqués.

    Le 17 octobre 1973, le Conseil d'Etat a adopté le nouveau "Règlement
fixant le statut des membres du personnel de l'administration cantonale",
dont les art. 1 à 71 ont été publiés dans la Feuille d'avis officielle
de la République et canton de Genève du 9 novembre 1973. L'art. 15 de ce
règlement a la teneur suivante:

    1 Tout membre du personnel peut prendre connaissance de l'ensemble
des rapports administratifs le concernant, notamment lorsqu'il demande
à être nommé fonctionnaire ou fait acte de candidature à un autre poste
de l'administration.

    2 Aucun document ne peut être utilisé contre un membre du personnel
sans que celui-ci en ait eu connaissance et qu'un délai lui ait été fixé
pour faire part de son point de vue.

    3 Toutefois, même si une pièce est utilisée, sa consultation peut être
refusée si l'intérêt public ou des intérêts privés prépondérants l'exigent.

    4 Après un délai de 10 ans, ces documents ne peuvent plus être
invoqués.

    B.- Agissant par la voie du recours de droit public, Jean Demont
(membre de la commission paritaire à titre de fonctionnaire) et le Cartel
intersyndical demandent au Tribunal fédéral de suspendre, par voie de
mesures provisionnelles, l'application de l'art. 15 du règlement du 17
octobre 1973 et, au fond, d'annuler cette disposition. Ils invoquent
l'art. 4 Cst. ainsi que les art. 130 Cst. cant. (séparation des pouvoirs)
et 31 à 32 de la loi cantonale du 6 décembre 1968 instituant un code de
procédure administrative (consultation du dossier).

    Le Conseil d'Etat conclut principalement à l'irrecevabilité,
subsidiairement au rejet du recours.

    La demande d'effet suspensif a été rejetée par ordonnance
présidentielle du 27 février 1974.

    Le Tribunal fédéral a rejeté le recours dans le sens des motifs.

Auszug aus den Erwägungen:

Considérant en droit:

Erwägung 1

    1.- Le Conseil d'Etat conteste la qualité pour recourir, au sens de
l'art. 88 OJ, tant de Demont que du Cartel intersyndical.

    a) Lorsque, comme en l'espèce, le recours de droit public vise un
arrêté au sens de l'art. 84 al. 1 OJ, c'est-à-dire un acte de portée
générale, tel qu'une loi ou un règlement, il est ouvert à toute personne
qui pourrait être atteinte un jour par la réglementation contestée;
il suffit en d'autres termes que le recourant tombe virtuellement sous
le coup de cette réglementation, sans qu'un intérêt actuel et immédiat
soit nécessaire, et nonobstant la faculté de faire valoir plus tard,
à l'occasion d'une décision d'application, les droits constitutionnels
invoqués; en cela, le recours de droit public dirigé contre un acte de
portée générale est très proche de l'action populaire (RO 99 Ia 265 s.).

    S'agissant d'un règlement fixant le statut des fonctionnaires, la
qualité pour recourir appartient en tout cas à n'importe quel fonctionnaire
en charge. La question de savoir si elle s'étend à tous les citoyens
aptes à devenir un jour ou l'autre fonctionnaires peut rester ouverte
en l'espèce, l'un des deux recourants ayant de toute façon qualité pour
recourir, ainsi qu'on va le voir.

    b) Selon la jurisprudence, une association professionnellle peut agir
par la voie du recours de droit public sans être elle-même touchée par
l'acte attaqué si ses statuts la chargent de défendre les intérêts de ses
membres et que ceux-ci sont personnellement lésés par cet acte, du moins
en majorité ou en grand nombre (RO 93 I 127, avec références; 94 I 4).

    Le Conseil d'Etat soutient que le Cartel intersyndical ne remplit
pas ces conditions, et cela pour trois raisons: d'une part ses membres,
qui sont des associations et non des fonctionnaires, ne sont pas
personnellement touchés; d'autre part, ses statuts ne le chargent pas
de défendre en justice les intérêts du personnel de l'administration
cantonale; enfin la totalité des membres du Cartel n'est pas intéressée
au recours, ni même la majorité.

    Le Cartel intersyndical se dit association des art. 60 ss. CC, ce
qui peut être admis. Certes, il est régi par un simple règlement, qui ne
renvoie pas expressément à ces dispositions. Mais ce règlement a la valeur
de statuts; il établit une organisation corporative (art. 60 al. 1 CC)
et contient des dispositions sur le but, les ressources et l'organisation
du Cartel (art. 60 al. 2 CC); au surplus, l'art. 22 renvoie au Code civil
suisse quant à la dissolution.

    Selon l'art. 1, le Cartel réunit "les groupements de la fonction
publique... pour la défense des intérêts du personnel de l'Etat, pour
représenter l'ensemble des groupements auprès du Conseil d'Etat et
constituer ainsi un interlocuteur reconnu par celui- ci". Aux termes de
l'art. 20, "les groupements déclarent reconnaître au Cartel le droit de
représenter l'ensemble du personnel de l'Etat". Ces dispositions, qui
renferment une sorte de mandat, habilitent le Cartel à agir par la voie
du recours de droit public pour défendre les droits du personnel dans la
mesure où les groupements affiliés en auraient eux-mêmes la faculté. Or
le Conseil d'Etat ne prétend pas que ceux-ci n'auraient en l'espèce pas
qualité pour recourir. Peu importe que les fonctionnaires et employés de
l'Etat ne soient pas eux-mêmes membres du Cartel, et qu'il y ait ainsi
une représentation au second degré. Juger autrement procéderait d'un
formalisme excessif, dans un domaine où une organisation fédérative
se justifiait pleinement et où il faut en tirer les conséquences,
conformément à l'idée générale qui a conduit depuis longtemps déjà à
admettre le recours corporatif. Les deux premières objections du Conseil
d'Etat ne sont donc pas fondées.

    La troisième ne l'est pas non plus. Certes, selon le recours, cinq
seulement des treize associations affiliées au Cartel intersyndical
représentent le personnel de l'administration dite centrale, et le Conseil
d'Etat relève qu'elles ont 1800 membres environ, sur les 4650 que regroupe
le Cartel. Mais cela suffit. Lorsqu'elle exige que la majorité (RO 93
I 127) ou qu'un grand nombre (RO 94 I 4) des membres de l'association
recourante soient personnellement lésés, la jurisprudence entend simplement
exclure le recours en faveur d'une seule personne ou de quelques membres
peu nombreux (RO 93 I 127). Au demeurant, le Conseil d'Etat ne prétend
pas que les membres des associations affiliées autres que celles de
l'administration centrale ne pourraient pas être touchés par l'art. 15 du
nouveau règlement, éventuellement en vertu d'une application par analogie.

    Le Cartel intersyndical a donc qualité pour recourir.

    Le recours étant dès lors recevable, il n'est pas nécessaire d'examiner
si Jean Demont remplit lui aussi les conditions de l'art. 88 OJ.

Erwägung 3

    3.- Lorsqu'ils invoquent le principe de la séparation des pouvoirs
(art. 130 Cst. cant.), les recourants ne s'en prennent pas à la base
légale du nouveau règlement, c'est-à- dire à la validité de la délégation
législative que contient l'art. 12 al. 1 litt. c de la loi cantonale du
5 juillet 1957. Ce qu'ils soutiennent, c'est que le Conseil d'Etat a
empiété sur les attributions de l'autorité législative en dérogeant aux
art. 31 et 32 du Code de procédure administrative (CPA), du 6 décembre
1968, sans y avoir été habilité par cette loi.

    Les art. 31 et 32 CPA règlent la consultation du dossier, en
prescrivant notamment que si la consultation d'une pièce a été refusée
à une partie, cette pièce ne peut être utilisée contre elle (art. 32
al. 2). L'art. 15 al. 3 du règlement attaqué permet au contraire de
refuser la consultation d'une pièce à un membre du personnel, même
si cette pièce est utilisée contre lui. Il y a donc bien divergence
entre ces deux textes. Mais le Conseil d'Etat relève, et les recourants
admettent eux-mêmes, que le Code de procédure administrative a pour seul
objet la procédure "contentieuse", c'est-à-dire la procédure applicable
aux recours contre les décisions de l'administration, quelle que soit
l'autorité de recours (PIERRE CORNIOLEY, Le nouveau Code de procédure
administrative genevois, dans Semaine judiciaire 1969, p. 113 ss., 115
s.; BRUNO HUG, Le droit d'être entendu et la consultation du dossier en
procédure administrative fédérale et genevoise, dans Revue genevoise de
droit public, 1970, p. 113 ss., 126). Or, précise le Conseil d'Etat,
l'art. 15 du règlement attaqué règle uniquement la procédure "non
contentieuse", c'est-à-dire celle par laquelle l'administration rend ses
décisions en première instance. Cornioley (loc. cit.) relève à propos de
cette procédure qu'"il a été jugé... moins urgent, et surtout beaucoup
plus difficile devant la variété infinie des situations à régir et les
exigences de souplesse et de rapidité qui sont le propre d'une telle
procédure, d'élaborer une réglementation générale dans ce domaine";
on peut considérer qu'il suffit de donner à l'administré des garanties
étendues en procédure de recours.

    Dans ces conditions, le Conseil d'Etat n'a pas dérogé à la loi, ni par
conséquent enfreint le principe de la séparation des pouvoirs. S'agissant
d'une procédure non régie par le Code de procédure administrative, il
pouvait régler librement la question de la consultation du dossier. Rien
ne l'obligeait à reprendre telles quelles les règles posées par ce code.

Erwägung 5

    5.- Les recourants considèrent l'art. 15 al. 3 du règlement attaqué
comme contraire à l'art. 4 Cst. Selon eux, le droit à la consultation
du dossier que garantit cette disposition implique que tout administré
ait connaissance des faits et pièces sur lesquels l'administration fonde
ses décisions.

    a) Le droit de consulter le dossier découle du droit d'être entendu,
car on ne peut défendre convenablement ses intérêts si l'on ne sait pas
sur quoi l'autorité appelée à prendre une décision va se fonder en fait.

    En principe, l'étendue du droit d'être entendu dépend d'abord du
droit cantonal; mais si ce droit n'accorde aux parties qu'une protection
insuffisante, la jurisprudence applique des règles de procédure qui
découlent directement de l'art. 4 Cst. et qui doivent donner au citoyen un
minimum de garanties; le Tribunal fédéral examine librement si ces règles
de droit fédéral ont été respectées (RO 99 Ia 23 s. avec références).

    b) Le droit de prendre connaissance du dossier en matière
administrative est en principe garanti aujourd'hui par ces règles découlant
directement de l'art. 4 Cst., mais il n'est pas absolu; il est notamment
limité par l'intérêt prépondérant que peuvent avoir l'Etat ou des tiers
à ce que certaines pièces ou leur contenu restent confidentiels; il peut
s'agir par exemple des intérêts de la défense nationale ou de la sécurité
de l'Etat; de la nécessité de protéger l'anonymat d'un informateur; de
la sauvegarde de secrets d'affaires, en particulier du secret bancaire;
et parfois des égards que l'on doit à l'administré lui-même en rapport par
exemple avec son état de santé (RO 95 I 107 consid. 2 avec références, 445
s.; IMBODEN, Schweiz. Verwaltungsrechtsprechung, 3e éd., p. 622 no 613
II; GRISEL, Droit administratif suisse, p. 182; AUBERT, Traité de droit
constitutionnel suisse, p. 652 no 1808). Il est en outre généralement
admis que l'accès au dossier ne s'étend pas à des documents purement
internes, comme des notes de service ou l'avis personnel donné par un
fonctionnaire à un autre (RO 96 I 609, avec références de doctrine et de
jurisprudence). En principe, le droit de consulter le dossier existe déjà,
avec les mêmes exceptions, au stade de la décision administrative initiale,
mais on peut se montrer plus large dans les exceptions si cette décision
est susceptible de recours à une autorité indépendante et que celle-ci a
un pouvoir de libre examen quant aux faits, ainsi que la faculté d'exiger
la production des pièces jugées confidentielles (sur ce dernier point:
RO 95 I 109 consid. 2 b). Il faut en outre réserver les décisions urgentes
(RO 99 Ia 24 s.).

    c) Si l'accès à une pièce est valablement refusé à l'administré,
trois solutions sont concevables: ou bien cette pièce peut être
néanmoins utilisée contre lui à l'appui de la décision à prendre, et
cela sans condition; ou bien, au contraire, l'autorité doit ignorer
cette pièce, ou du moins ne pas la retenir dans ses motifs; ou bien
enfin on adopte une solution intermédiaire, l'autorité pouvant utiliser
la pièce confidentielle, mais à la condition seulement d'en communiquer
préalablement le contenu essentiel à l'administré, pour que celui-ci
puisse se déterminer.

    La première de ces trois solutions est généralement écartée en
doctrine, parce que sacrifiant trop le droit d'être entendu. La seconde
solution a été parfois défendue (DARBELLAY, Le droit d'être entendu, dans
RDS 1964 II p. 558 s.; FAVRE, Droit constitutionnel suisse, p. 253; HUG,
op.cit., p. 121 en haut); c'est celle que consacre dans le canton de Genève
l'art. 32 al. 2 CPA, pour les procédures de recours. Elle protège certes au
mieux le droit d'être entendu, mais elle pourrait avoir pour inconvénient
grave d'empêcher parfois une décision qu'exige l'intérêt public (cf. les
objections de Cornioley, op.cit., p. 122). C'est sans doute pourquoi la
tendance aujourd'hui dominante est de retenir la solution intermédiaire
(IMBODEN, op.cit., p. 623 s. no 613 III c et IV; GRISEL, op.cit., p. 182),
consacrée en procédure administrative fedérale par l'art. 28 LPA.

    d) Selon l'art. 1er LPA, les art. 26 à 28 s'appliquent exclusivement
à la procédure devant les autorités administratives fédérales; ces
dispositions ne figurent pas parmi celles dont l'art. 1er al. 3 étend
l'application à la procédure suivie par des autorités cantonales. Par
ailleurs, l'art. 3 LPA soustrait à l'emprise de la loi, et notamment aux
règles sur la consultation des pièces, certaines procédures de première
instance (ainsi, celles qui portent sur l'engagement, la promotion, les
ordres de service ou l'autorisation d'introduire une poursuite pénale
s'agissant du personnel fédéral; sur des affaires administratives dont
la nature exige qu'elles soient tranchées sur-le-champ par décision
immédiatement exécutoire; la procédure pénale administrative et celle
des recherches de la police judiciaire), ainsi que des procédures ayant
un objet particulier (procédure de dédouanement; certaines procédures en
matière militaire).

    L'application de l'art. 28 LPA relatif à la prise en considération
de pièces tenues secrètes est ainsi soumise à certaines restrictions
touchant à la nature de la procédure. Il faut d'autre part réserver
des cas exceptionnels où le contenu même de la pièce considérée comme
confidentielle s'oppose à l'application de cette règle: par exemple,
un certificat médical révélant un état de sante dont l'administré ne
soupçonne pas la gravité (cf. RO 92 I 263). Mais dans le cadre ainsi
défini, le droit pour une partie de s'exprimer sur les faits retenus
contre elle, et partant de connaître le contenu essentiel d'une pièce
dont la consultation lui a été refusée, doit être tenu pour inhérent au
droit d'être entendu garanti par l'art. 4 Cst. Le principe que consacre
l'art. 28 LPA s'impose dès lors aux cantons, ainsi que l'a déjà admis
la Cour de cassation pénale dans un arrêt du 10 mars 1972 en matière de
libération conditionnelle (RO 98 Ib 168 ss.). S'agissant d'un principe de
droit constitutionnel fédéral, il n'y a pas lieu de réserver, comme le fait
cet arrêt, d'éventuelles lois cantonales moins favorables à l'administré.

    e) Selon le Conseil d'Etat, l'art. 4 Cst. permettrait d'appliquer
des principes plus restrictifs aux fonctionnaires, en raison du rapport
spécial de sujétion dans lequel ceux-ci se trouvent à l'égard de l'Etat.

    Il est vrai que la qualité de fonctionnaire ou d'employé de l'Etat
peut entraîner certaines restrictions aux droits et libertés reconnus aux
autres citoyens, telles que des incompatibilités avec d'autres charges
publiques ou privées, des limitations de la liberté de coalition, voire
de la liberté d'opinion. Mais ce n'est admissible que dans la mesure où le
justifie un autre principe constitutionnel (par exemple la séparation des
pouvoirs) ou l'intérêt public attaché à chaque fonction. Pour le surplus,
le fonctionnaire jouit des mêmes droits que les autres citoyens, en matière
de procédure notamment. Tout au plus des raisons tenant à la sécurité de
l'Etat conduiront-elles peut-être plus souvent à qualifier certaines pièces
de confidentielles pour des fonctionnaires que pour d'autres citoyens. En
outre, on pourra juger différemment suivant que la décision à prendre
touche aux droits du fonctionnaire (mesure disciplinaire, renvoi pour
justes motifs) ou qu'elle dépend au contraire de la libre appréciation
de l'autorité (nomination, avancement dans l'échelle des traitements,
promotion; cf. art. 3 litt. b LPA).

    f) Par ses deux premiers alinéas, l'art. 15 du règlement attaqué
consacre le droit de prendre connaissance du dossier que garantit l'art. 4
Cst. selon la jurisprudence rappelée plus haut (consid. 5 a et b).

    Quant au troisième alinéa, qui est en réalité seul contesté, il fait
une exception conforme à cette jurisprudence et consacrée en procédure
administrative fédérale par l'art. 27 al. 1 litt. a et b LPA, dans la
mesure où il permet de refuser la consultation d'une pièce si l'intérêt
public ou des intérêts privés prépondérants l'exigent. Il autorise en
revanche l'utilisation contre un membre du personnel d'une pièce dont la
consultation lui a été refusée, sans subordonner cette utilisation à la
condition que l'autorité communique à l'intéressé le contenu essentiel
de ladite pièce en lui donnant l'occasion de se déterminer. Interprété à
la lettre, l'art. 15 al. 3 du règlement attaqué serait donc contraire au
droit de l'administré de s'exprimer sur les faits retenus contre lui,
tel qu'on l'a défini plus haut (consid. 5 d), et partant à l'art. 4
Cst. Mais la disposition litigieuse ne dit pas expressément qu'une
pièce jugée confidentielle pourra toujours être utilisée au détriment du
fonctionnaire sans même que le contenu lui en ait été communiqué pour
l'essentiel. Le texte contesté laisse donc place à une interprétation
conforme à la constitution, et tout dépendra de l'application qui en
sera faite. Il convient d'ailleurs de rappeler que le fonctionnaire aura
accès au dossier en vertu de l'art. 31 al. 1 CPA dès qu'il manifestera
l'intention de recourir contre la décision prise à son sujet et qu'une
pièce dont la consultation lui serait refusée à ce stade ne pourrait plus
être utilisée contre lui en vertu de l'art. 32 al. 2 CPA.

    L'art. 15 al. 3 du règlement attaqué permettant une interprétation
conforme à l'art. 4 Cst., les recourants n'ont pas établi que cette
disposition constitutionnelle.aurait été violée. Le recours doit donc
être rejeté sur ce point aussi, dans le sens des motifs.